LA CATASTROPHE DU PONT DE LA TAY
 28 DECEMBRE 1879

 Par  Jean GRILLOT
Cet article est réalisé à partir d’une archive rassemblée à l'origine par Charles REID dont le Grand Père Robert STEWART  avait travaillé à la construction du second pont de la Tay et du viaduc du Forth, pour le compte de l'entreprise ARROL.

 1 : LE PREMIER PONT

Introduction 

 A l'est de l'Ecosse, la côte présente deux échancrures importantes, appelées FIRTHS,  par lesquelles la Mer du Nord pénètre profondément dans les terres :

le FIRTH OF TAY  et le FIRTH OF FORTH.

Ces régions côtières sont très peuplées et depuis longtemps les Firths constituent des obstacles à la desserte rapide des grandes villes, en particulier Edimbourg au Sud et Dundee au Nord. Des ferries  ont été installés notamment entre Tayport et Broughty Ferry sur la Tay, mais ils ne répondent que très partiellement aux problèmes de communication en raison de leur dépendance aux intempéries, de leur faible capacité et de leur lenteur.

Au début du 19ème  siècle, le développement rapide des chemins de fer se heurte aux franchissements des Firths.
 

Fig.1 - Carte des FIrth

 

 

En 1862, lors de l’ouverture de la ligne Carlisle/Edimbourg, les responsables de la North British Railway annoncèrent leur intention de faire construire deux ponts sur la Tay et le Forth pour relier Edimbourg à la ligne Dundee/Aberdeen.


Le financement

 

 

La North British Railway lança plusieurs souscriptions auprès du public pour financer la construction, avant et pendant celle-ci.

 

 

 

fig.2- Récépissé de dépôt d'un versement de 200 £ en 40 parts de 5 £ effectué à Glasgow
le 24 Août 1875 pour l'opération du Pont de La Tay. Document revêtu d'un timbre fiscal de 1 Penny
.

 

La construction

  C'est à Thomas BOUCH, le plus éminent Ingénieur de cette époque que fut confiée la réalisation du pont destiné
à franchir le Firth of TAY.
Thomas BOUCH dirigeait depuis plusieurs années la construction des chemins de fer en Ecosse, à Edimbourg, Perth et Dundee : Il y réalisa de nombreux ouvrages encore en service aujourd'hui.
Il proposa son projet en 1854 : ce serait le plus grand pont du Monde. Son expérience inspirait confiance.
La construction fut réalisée par l’entreprise de William Arrol. Elle commença  en 1871. Il fut achevé en 1878 et inauguré par la Reine Victoria le 31 Mai.
Thomas BOUCH fut élevé à la dignité de Lord.
L'ouvrage était présenté comme un témoignage majeur du savoir-faire de l'ingénierie moderne,
qui depuis un siècle connaissait un formidable essor en Grande Bretagne, première Nation industrielle du monde.


Fig.3 et 4 -  Portraits de Th. Bouch et W.Arrol



Fig.5 -  Le premier pont, gravure ancienne
 

Il n'existe aucune carte postale ni aucun document philatélique représentant ce premier ouvrage dans son intégralité. Seules des photos ou gravures d’époque témoignent de ses dimensions : 3150 m de traversée,  85 travées de longueurs variables, la plus grande atteignant 80m de portée, supportant une voie ferrée unique sur un tablier de 5 m de largeur. Sa hauteur au dessus des plus hautes eaux  de la Tay variait de 25m aux extrémités à 42m dans sa partie centrale.

 

Fig.6 - Le pont, vues nord et sud, gravures anciennes
  

 

 

 

 

Fig7: La Reine Victoria traversant le Pont de la Tay d’après une gravure de 1879 publiée par le Illustrated London News Publications « the Queen’s return from the Highlands crossing the Tay bridge towards Dundee".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   
Fig.8 - Gravure publiée dans le Harper's Weekly (08 1880)


2 : LA CATASTROPHE DU 28 DECEMBRE 1879  

Les évènements

Le dimanche 28 décembre 1879, le train venant de Liverpool avait quitté Edimbourg vers 16h15 pour rejoindre Dundee, au Nord A 19h09 il était signalé à l'entrée sud du pont.
A 19h14, le gardien en poste au sud avisa son collègue du nord que le train était entré sur le pont.
Il faisait ce soir là une tempête exceptionnelle comme jamais les habitants de la Région n'en avaient connue. Le vent soufflait à 180km/h. L'obscurité était grande.
Lorsque le gardien sud du pont vit disparaître la lanterne rouge du huitième et dernier wagon, il pensa plutôt au mauvais temps qu'à un effondrement. La tempête était si forte qu'il n'entendit rien.
Le train n'ayant pas atteint Tay Bridge Station au nord, il fallu se rendre à l'évidence que le pire était arrivé. L'accident fut officialisé vers 22h lorsque l'on se rendit compte que 13 travées de la partie centrale du pont s'étaient effondrées sur près d'un kilomètre.
Tous les passagers, au nombre de 75, trouvèrent la mort.


Fig.9 et 9a -  Gravures ancien
nes

La nouvelle de la catastrophe fit l’effet d’une bombe tant la surprise était grande. Le grand nombre de victimes, le fait qu’il n’y ait aucun rescapé fit naître une très forte émotion.

 Fig.10
- Journal  "LE DAILY EXPRESS" du Mardi 30 Décembre 1879, surlendemain du drame

 Le courrier récupéré

     Le train transportait 6 sacs de courrier. A 20h30 le soir même 2 sacs furent repêchés à Brougthy Ferry, 6,4 km en aval du pont. Les quatre autres sacs ne furent jamais retrouvés.
 Ce courrier très endommagé, fut sommairement séché et distribué le lundi 29 décembre. Certains plis portent une mention manuscrite apposée à la poste de Dundee où il avait été acheminé.
On estime qu'il ne subsiste aujourd'hui pas plus de dix lettres rescapées de cette catastrophe. Huit sont formellement identifiées, dont celles présentées ci-dessous. Plusieurs sont dans des musées, notamment à Dundee.


Fig.11 -  Cette lettre postée à Liverpool le 27 Décembre 1879 pour Dundee a perdu son timbre dans le naufrage.
 Elle porte une mention manuscrite :
“Found on the beach at Brougthy Ferry about 8.30 on night of Tay Bridge accident”.
Ce qui signifie : « Trouvée sur la plage à Broughty Ferry vers 20 h 30 la nuit de l’accident du pont de la Tay ».



 


 

 

 

 

 

 

Fig.12 et 12a -
 Copies d'autres lettres récupérées*


 

 


Après le drame

 Fig.13 - Carte postale représentant l'ouvrage après l'accident

Des opérations de repêchages furent engagées pour récupérer les corps des victimes et tous effets matériels leur appartenant. Il fallait également recueillir des éléments du train et du pont pour les besoins de l’enquête.


 
 Fig.14 - Carte postale : Cette montre repêchée après la catastrophe est arrêtée à 7h17 (p.m.). C'est probablement l'heure exacte de l'effondrement du pont.

 

 

 

 

 

 

 

Fig.15 - Carte postale : Les tickets pour  la mort : liste des tickets de train des passagers montés à St Fort Station au sud du pont.




Fig.16 - Carte postale représentant le pont au lendemain du désastre
Elles se poursuivirent jusqu’en Avril 1880. Sur les 75 victimes, 42 corps furent retrouvés, et l’on ramena sur la berge l’essentiel des éléments du pont


 
Fig.17et 18 - Cartes postales: Eléments du pont et de wagons repêchés dans la Tay
 

3 : LE BILAN

 Le seul rescapé de cet accident fut la locomotive retirée des eaux, réparée et remise en service jusqu’en 1919.

Fig.19 - Gravure de 1878.
 

Pour le reste, l’ampleur de la catastrophe (effondrement de 13 travées sur près d’un kilomètre), le nombre de victimes (75) donnèrent à cet événement un retentissement énorme en Grande Bretagne et dans tout le monde industriel.
C’était la première fois qu’un ouvrage d’art métallique s’effondrait 18 mois après sa mise en service et toutes les certitudes constructives furent remises en question.
En particulier les travaux de construction du viaduc sur le Firth of Forth près d’Edimbourg furent stoppés et le projet de Thomas Bouch abandonné, au profit de celui de Benjamin Baker
 

Retard pour le Forth

 C’est l’échec de la solution en poutres métalliques qui incita Benjamin Baker à concevoir ce pont en Cantilever, la poutre centrale de l’ouvrage reposant en console sur les 2 travées posées sur les piles.



Cet ouvrage fut largement dimensionné. Le traumatisme de l’accident de la Tay était vif lorsque les autorisations furent accordées.
Le viaduc du Forth fut construit avec 10 ans de retard entre 1889 et 1890.
C’est l’un des plus spectaculaires ouvrages de cette époque. Il est toujours aussi impressionnant pour le visiteur contemporain
 

  

 

 

 

Fig.20 - Aérogramme de 1990
.


 

 

 

 

 

  Fig.21- Carnet de 1989


Fig.22 - Construction du Firth of Forth  et Fig. 23 - Forth bridge  photo récente

    
 

4 : LA RECONSTRUCTION DU PONT

 

Une commission d’enquête fut chargée de rechercher les origines de la catastrophe : parmi de multiples causes, furent retenues la conception trop légère de l’ouvrage, la faiblesse  des piles, la qualité de la fonte et des négligences au montage. 


La décision de reconstruire l’ouvrage fut prise en Juillet 1881, à partir du projet entièrement réétudié de William Henry Barlow, Président de l’Institution des Ingénieurs Civils.

Les travaux débutèrent en Juin 1882

                                                    Fig.24 Portrait de William H. Barlow
 

fig.25 - Photo ancienne . Opérations de contrôle pendant la construction.

Le nouveau pont est implanté à 60 pieds en amont du premier ouvrage. Les poutres sont identiques entre les deux ponts. Beaucoup de poutres du premier ouvrage ont été réutilisées pour le deuxième.


Fig. 26 - Construction de l’un des pontons flottants utilisés pour transporter les poutres avant de les hisser sur les piles.


Fig.27 - ( photo ancienne ) Le nouveau pont, peu avant son achèvement.



Fig.28a et 28b -  photos anciennes : Premier convoi s'apprêtant à traverser pour les essais

Le nouvel ouvrage mesure 3,264 km. Il comporte 85 piles dont 74 immergées.    Il porte deux voies ferrées.


Fig.29 -  Carte postale

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

                                                                     Fig.30 -  gravure

 


 Fig.31 - Photographie : le nouvel ouvrage


 On  distingue à côté du nouvel ouvrage les pieds des piles du premier pont qui s’est effondré le 28 Décembre 1879.


Fig.32 -  Photographie

 

 

 

 

 

 

 

 

Fig.33 - carte postale


 

Le pont sera inauguré le  20 Juin 1887, jour anniversaire du jubilée de la Reine Victoria.
C’était à cette date le plus long pont du monde.


Fig.34 - photographie

 Fig.35  - Carte postale


Fig.36 - Série de timbres postes émis cette même année 1887 en l'honneur des cinquante années de règne de la Reine Victoria



 

 Fig.37 - Poème composé par William Mac Gonnagall, poète et tragédien Calédonien.
Ce poème à la gloire du nouveau pont évoque aussi l'accident du premier ouvrage.


 

Les constructions successives des ponts ferroviaires sur la Tay puis sur le Forth ont permis de relier directement Aberdeen à Glasgow. Cette liaison était d’une grande importance pour le développement de la côte est de l’Ecosse.

Fig.38 -
Lettre en provenance de Leek (Ecosse) déposée à Aberdeen et transportée par la North British Railway Company  jusqu’à Glasgow via la ligne de chemin de fer empruntant les ponts de la Tay et du Forth.
La lettre a été ensuite postée à Glasgow (mention manuscrite)  le 25 juin 1910  pour être acheminée par la poste anglaise à Wetton près de Ashbourne dans le Comté de Derby où elle est parvenue le 27 juin.la lettre est revêtue d’un timbre spécial de la NBRC de 2 pences vert et d’un timbre à 1 penny à l’effigie d’Edouard VII. L’annulation est double :

-1) Un très rare cachet violet sur 3 lignes « Aberdeen/conveyed via Forth and Tay bridges and Aberdeen/NBR and to be so abstracted »

2) Et un cachet noir linéaire sur 3 lignes “Glasgow 8.15 PM June 25-10”


5 : LE CENTENAIRE DE LA CATASTROPHE  (1979)

Une enveloppe illustrée fut émise en souvenir de l'accident du 28 Décembre 1879.
Elle représente le pont détruit et la locomotive repêchée après le désastre et réutilisée jusqu'en 1919.
Elle est oblitérée de Dundee le 28 Décembre 1979.


 

Fig.39 - Enveloppe souvenir du centenaire
 

 Fig.40 - Photographie de la locomotive remise en service


 

6 : LE CENTENAIRE DU DEUXIEME PONT  (1987)

Il fut célébré le 20 juin 1987 par un voyage en train organisé par la Scott Rail de Perth au pont de la Tay via Dundee, avec le concours des Autorités Régionales.
Une plaque commémorative fut inaugurée à l'entrée du pont.
Les invités à ce voyage reçurent une cravate du centenaire (sur laquelle est brodé le profil du pont) en cadeau souvenir de cette manifestation.

 

 

 

 

Fig.41 - ticket du 20 juin 1987
  

 

 

 Fig.42 et 43 -  Invitations

 


Fig.44 - Carte postale commémorative du centenaire



Fig 45 Cachet anniversaire du centenaire sur enveloppe illustrée.
 En vert, cachet spécial attestant de la traversée du pont

.

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

 Fig.46 - Cravate du centenaire fabriquée à 100 exemplaires, offerte aux invités au voyage de commémoration du 100ème anniversaire

 

 

7 : LE PONT ROUTIER

S’il est un moyen de se rappeler l’importance de cet ouvrage ferroviaire construit à la fin du 19ème siècle, c’est de bien noter que le franchissement routier du Firth of Tay ne fut réalisé qu’en 1966.
Cette ouvrage fut inauguré par la Reine Elizabeth II, soulignant par sa présence l’ampleur de la performance.
 

 

     Fig.47- Cachet commémoratif de l'ouverture du pont

   



 

        Fig.48 - Article du Scottish Daily Express



 

Fig.49 - Enveloppe du journal spécial
 

Fig 50 -  Carte postale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fig. 51 Flamme postale de 1974

EPILOGUE :

Ce drame reste encore très présent dans la mémoire collective Britannique et au sein des bâtisseurs de ponts. Il a fait l’objet de nombreux écrits régulièrement réédités.

Quant aux quelques lettres rescapées et à la documentation de cette période, elles sont toujours l’objet d’actives recherches de la part de ceux qui, collectionneurs ou non, cherchent à conserver une archive complète d’une des premières grande catastrophe industrielle du monde moderne

Fig 52- Ouvrages relatifs à la catastrophe

Livres de J. Prebble 1959,1975 et 1979 (réédition)
     

"The Railway Bridge of the Silvery Tay
and other disasters "
 Livre de W. MCGONAGALL -
1972

"McGonagall - a selection "
Colin S K Walker -  livre de  1998