LE PONT FAIDHERBE A SAINT-LOUIS-DU-SENEGAL 
: SA VERITABLE HISTOIRE .


Michel Krempper, Bulletin Sciences et Techniques de l’ Association Française de Philatélie Thématique.

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 Ce pont a un peu plus de 100 ans, à peine. Pourtant différentes erreurs ne cessent d’entourer l’histoire de la construction de cet ouvrage dont la représentation philatélique reste l’un des « must » de la philatélie du Sénégal. Sur la base d’un dossier établi à l’origine par la Ville de Saint-Louis et d’une enquête complémentaire menée sur place par nos soins, il a cependant été possible de rétablir la vérité historique, nécessaire aussi bien aux spécialistes des ponts qu’aux collectionneurs des différentes illustrations de ce franchissement, emblématique d’une ville et d’une époque.

 
Figure 1. Carte Postale, Magma 2001.

  La ville de Saint-Louis-du-Sénégal fut longtemps la capitale de la Colonie éponyme . Son noyau central, administratif et commercial est bâti sur une île. Il est séparé par le petit bras du fleuve Sénégal des banlieues de Guet-Ndar et Ndar-Toute – où furent construits les premiers villages de pêcheurs sur la langue de Barbarie -  et du continent par le grand bras de celui ci.

 Figure 2. Tricentenaire de Saint Louis- Fédération du Mali Yt PA1 de 1959

 
Au premier temps de la colonisation, on se rendait à Saint-Louis au moyen de différents types d’embarcations, la pirogue étant la plus commune. Des barges transportaient les troupes encasernées dans l’île ainsi que les chevaux des spahis. Les caravanes peuhles amenant les troupeaux de bœufs faisaient passer ceux-ci par le gué de Bop Nkior.
 En 1858, le 10 juin, est inauguré un bac à Rouet-ville, lors de festivités présidées par Faidherbe. Ce polytechnicien natif de Lille, officier du Génie, était Gouverneur du Sénégal depuis 1852 et le resta jusqu’en 1865. La Colonie et une grande partie de l’Afrique de l’Ouest  lui doivent une œuvre d’organisation et de mise en valeur considérable.

 Figure 3. Faidherbe, le timbre.

 






Le bac pouvait transporter jusqu’à 150 passagers. Il chargeait également des marchandises et des animaux, au rythme de 10 rotations journalières, pour le prix de 5 centimes par personne , 50 par cheval, chameau, bœuf ou voiture.

 Très vite, ce moyen de transport s’avèrera insuffisant au regard de l’accroissement du trafic et de l’intensification de l’activité commerciale. Un second bac est adjoint et une chaloupe  mise en service en cas d’urgence : la répugnance des animaux à s’embarquer était constamment facteur de retard. L’escadron de spahis ne put jamais traverser en moins de deux heures, alors qu’ en raison de l’insécurité dans la région, il lui fallait souvent intervenir dans l’urgence. Il arriva qu’à la mauvaise saison le bac soit entraîné en pleine mer, tandis que les chaînes de halage se rompaient périodiquement. Moyennant quoi, le trafic pouvait être interrompu la journée entière.

 Le premier pont FAIDHERBE, un pont flottant.

 En 1860, le capitaine Robin, intérimaire de Faidherbe parti momentanément en métropole, obtient du Prince Jérôme-Napoléon, ministre de l’Algérie et des Colonies, un accord pour l’établissement d’une liaison  permanente.

 
L’adjudication portera sur un pont flottant. Celui-ci comprenait 40 pontons en tôle - d’un poids unitaire de 40 tonnes -, l’ensemble supportant un tablier en bois. Grâce à une  « portière » de 3 pontons, le passage des navires était assuré .

 La partie flottante était longue de 355 mètres, pour une longueur totale de 680 mètres. Au total, cet ouvrage coûta 400000 francs. Il fut inauguré le 2 juillet 1865, année du départ définitif du Gouverneur vers la Métropole . Un décret impérial  attribua à ce franchissement le nom de « Pont Faidherbe ».
 Peu après, un chemin de fer est décidé, construit puis mis en service entre Saint-Louis et Dakar, provoquant une nouvelle et très forte augmentation des échanges entre l’île- restée le centre économique de la Cité et politique de tout le pays,  avec Sor, terminus du train sur le continent . Son ouverture, en 1885, doit s’accompagner de la mise en place de restrictions dans l’usage du pont flottant. Ainsi, un arrêté est pris interdisant la traversée aux véhicules de plus de 1500 kg. D’autant que l’étroitesse du ablier –4 mètres- rendait difficiles  les croisements.

 Les coûts d’entretien ne cessent d’augmenter. Une équipe permanente doit affectée au vidage de l’eau infiltrée. L’ouverture quotidienne de la porte pour le passage des bateaux s’avère également plus difficile que prévue. Néanmoins, malgré ces inconvénients et sa dégradation progressive, l’ouvrage restera en service 32 ans.

  La décision de réaliser  une liaison fixe.

 Il faut attendre décembre 1891 pour que  le Gouverneur  propose au Conseil Général  de la Colonie un programme de travaux publics urgents. La décision est prise de le financer par un emprunt de 5 millions de francs, dont la part principale servira à payer la construction d’un nouvel ouvrage de franchissement du fleuve Sénégal entre Sor et Saint-Louis.

 Un décret du Président Sadi Carnot autorise l’ouverture de cet emprunt. Celui-ci sera souscrit pour un faible taux d’intérêt auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations.

 Le Ministère des Colonies organise à Paris la consultation des entreprises candidates à la construction. Ainsi, la Commission du Pont Faidherbe crée au sein du Conseil général du Sénégal recevra les dossiers de 5 entreprises soumissionnaires. Après étude, elle en retient deux :

 
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         celui de NOUGUIER KESSLER & C°, ancienne maison JOLY, d’Argenteuil ;
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         celui de la Société de Construction de Levallois-Perret , anciens établissements EIFFEL.

 Le choix du projet

 Le jugeant techniquement plus étudié, la Commission du Conseil Général propose d’adopter le projet de la  Société de Levallois-Perret, ex-Eiffel, rejoignant ainsi l’avis de la Commission technique compétente instituée à Paris au niveau des Ministères concernés ( Colonies et Travaux Publics).

Mais le chef du Service des Travaux Publics de la Colonie, Robert, et avec lui  certains Conseillers, sont d’un avis différent. Considérant le projet Nouguier- Kessler& C° supérieur du point de vue esthétique, ils plaident très activement en sa faveur et finissent par emporter l’adhésion de la majorité du Conseil colonial, les coûts étant identiques : 1 880 000 francs.

 

 

Figure 4. Le deuxième Pont, toujours en service,  reproduction de 2 CP anciennes sur une CP  moderne, éd. MAGMA 2001
 

 

 

 

 

 


 

Le pont choisi sera du type « pont-tournant » , construit en treillis d’acier, d’un poids total de 1300 tonnes. Sa longueur totale est de 508,60 mètres. Ses travées sont de longueur inégale. L’une mesure 42,92 m., 2 autres 36,55 m., 5 autres 8,26 m. chacune.

 
La construction durera de 1894 à 1897 pour conduire à deux inaugurations successives.
La première – provisoire – coïncide avec les festivités du 14 juillet et est présidée par le Gouverneur Chaudié qui pour ce faire s’installe sur la travée tournante, ouverte pour laisser le passage à l’aviso Amiral.

 

Figure 5.
 La travée tournante, carte postale semi-moderne

 

 

 

 

 

 

 



 

La seconde sera le fait d’André Lebon, Ministre des Colonies et a lieu le 19 octobre.

 Des mythes qui perdurent .

 Cette seconde manifestation est l’occasion pour le Président du Conseil Général de la Colonie de rappeler que le financement de l’ouvrage était l’œuvre exclusive du budget de la Colonie, à l’origine de la commande ; l’emprunt souscrit pour ces travaux devant être supporté par elle seule. 

Ces propos étaient ils à l’avance une réponse à la rumeur qui s’amplifiait  en métropole, selon laquelle ce pont avait été un don de la France à sa Colonie ?

Par la suite, un autre mythe allait aussi naître  : celui d’un  pont qui, à l’origine, aurait été destiné à une autre colonie (l’Indochine ?) pour être finalement détourné sur le Sénégal…. Et un autre encore : qu’il s’agirait d’un Pont Eiffel alors que précisément, le projet présenté par cette Société avait été écarté par le Conseil général de la Colonie, laquelle, en l’occurrence, avait choisi l’ouvrage jugé par elle  le plus harmonieux artistiquement. Contre l’avis de la métropole 

 Mythes qui ont la vie dure. Pour le vérifier, il suffit de lire les différents guides touristiques (français),  sans doute fascinés par la personnalité de Gustave Eiffel  et pas toujours très soucieux d’exactitude. Exemple, parmi d’autres : le Guide du Routard (édition 2003) qui  nous raconte cette énormité : « Construit par Gustave Eiffel pour franchir le Danube en Autriche-Hongrie  et expédié à Saint-Louis en 1897 à la suite d’une gigantesque erreur administrative ! Et finalement, sa longueur convenant tout à fait, on le garda (page 215). » ?!?!?!?

Ce deuxième Pont Faidherbe est toujours en service.

 Au temps de la colonisation, son image a largement été utilisée comme  emblème du Sénégal. Ainsi, il n’y a pas lieu d’être surpris d’observer que ce pont a  été le sujet de l’une des principales émissions sénégalaises d’avant guerre, de 1935 à 1940, avec de nombreuses surcharges jusqu’en 1944. Un véritable « must » pour la philatélie de ce pays.

 Figure 6. Timbre Sénégal de la série de 1935 yt 114 à 137, dentelé 12 ½
 

 

 

Figure 7. Carte Maximum
de 1937:
 Le Pont Faidherbe, vu de Sor.

 

 

 

 

 

 

Figure  8. Timbre Sénégal yt 194  surcharge 10 f sur 15 c., en affranchissement d’une lettre expédiée le 13 janvier 1945 de Dakar à Alexandrie (Egypte), nombreux cachets de transit, de censure et d’arrivée
 (au recto et au verso)


 

MICHEL KREMPPER