Le Monorail suspendu de Wuppertal:
Un viaduc centenaire,   pour un système de transport urbain resté original.
Michel Krempper, 
Bulletin Sciences et Techniques de l’Association Française de Philatélie Thématique(A.F.P.T.)

 A la fois efficace - il a transporte plus de 1,5 milliards de passagers depuis sa mise en service commerciale le 1° mars 1901 et continue à en déplacer quotidiennement 75000 -, et éprouvé- en plus d'un siècle d'existence, il n'a connu qu'un accident majeur - le Monorail suspendu de Wuppertal constitue un système de transport urbain resté néanmoins quasi-unique au monde. En effet, peu de réalisations semblables se rencontrent ailleurs: à peine une dizaine et aucune de cette importance. Pour comprendre ce paradoxe d'une réussite restée si originale, il faut revenir aux conditions historiques, économiques et topographiques, toutes trois spécifiques à cette vallée allemande du Land de Rhénanie du Nord- Westphalie

  1 -  La mise en place du système.
Le Monorail suspendu ( en allemand «Schwebebahn», «train suspendu», du verbe «schweben» «se suspendre au dessus») se présente comme un immense viaduc ferroviaire de 13 kilomètres de long, ponctué de 20 stations d'accès aux voitures. Suspendues au portique, celles ci circulent dans la majeure partie du parcours sur deux voies, avec des intervalles réguliers, variables selon les heures, de l'ordre de 8 a10 minutes à l'heure de pointe. [1 ] 
Fig.l. Timbre du Centenaire émis le 8.3.2001. Surtaxe au profit du Fonds de développement de l'Histoire Postale. Oblitération par cachet  temporaire NAPOSTA 2001. Schéma de l'interface viaduc/voiture dans le bord de feuille


Le système. constitue l'élément structurant des transports à l'intérieur d'un ensemble urbain et industriel dense, aujourd'hui regroupe dans la commune de Wuppertal, à l'origine dispersée entre trois localités: Eberfeld, Barmen et Vohwinkel. A présent d’environ 380000 habitants, la population, en plein essor, atteignait déjà les 300000 à la fin du XIX°siècle. Dans cette région du cœur économique de l'Allemagne, l'expansion industrielle avait été rapide durant la seconde moitie du XIX0 siècle et s'étalait tout au long de la vallée de la  Wupper.
 Le tramway urbain offrant une capacité insuffisante, le chemin de fer constituant un moyen de déplacement inadapté à cause de sa lenteur, de la mauvaise position des gares et de l'encombrement des voies par le trafic marchandise, l'idée germa dans les années 1885/95 de mettre en place un moyen de transport de masse, complémentaire du tram et du train – déjà  présents  dans le secteur-, complètement novateur, utilisant l'énergie électrique récemment apparue et pour l'infrastructure,  la construction métallique, particulièrement développée dans cette région limitrophe de la Ruhr.

 

 

 

.2. Carte Postale de 1902 : les trois modes de transport ferroviaires réunis : le tramway, le train et le Monorail suspendu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre élément du Cahier des Charges : la présence de la rivière Wupper au fond de la vallée, permettant de suspendre au dessus d'elle l'ensemble du système, parut pouvoir être mise à profit pour implanter facilement et rapidement ce mode nouveau dans le tissu urbain, sans expropriations trop nombreuses et trop coûteuses.
Pour la réalisation on se tourna ainsi vers Eugen Langen, ingénieur et industriel de Cologne qui avait installé une ligne-prototype d'un monorail suspendu dans sa propre usine et s'était fait le promoteur de cette technique a l'échelle internationale. A cette fin, il avait mis en place la  «Société Continentale d'Entreprises Electriques» qui passa, sous l'égide des mairies, les contrats nécessaires avec les différentes entreprises municipales d'électricité, une fois obtenues les autorisations de l'Administration Royale installée à Dusseldorf.
Les travaux, débutés à l'été1898 furent menés rondement, les premières circulations d'essai risquées le 5 décembre de la même année puis le 4 mars 1899, L'Empereur Guillaume II pu ainsi inaugurer une première section le 24 octobre 1900 avant que le public ne soit admis à emprunter ce mode révolutionnaire : le 1 ° mars 1901 sur une partie du parcours, le 27 juin 1903 sur la totalité.

 

 

 


Fig.3. Timbre émis par la Guinée-Bissau en 1984.
Voitures de 1901 en rame double suspendues au viaduc.

[ 1 ] En se référant â la voie, l'allemand utilise le féminin pour parler des systèmes ferroviaires : « die Bahn » pour le train, « die Strassenbahn » pour le tramway, « die S-Bahn » pour le R.E.R et donc « die Schwebebahn » pour le Monorail suspendu. Mais aussi « die Autobahn » pour l'autoroute Dans l'article, on s'autonsera néanmoins â utiliser le masculin français pour parler du Schwebebahn : le Monorail... Difficulté de la transposition des concepts techniques.

2- Caractéristiques techniques principales.
2.1. L'infrastructure : un viaduc continu
La ligne, essentiellement a double voie, se développe sur une longueur de 13,3 kilomètres dont 10 km s'élèvent sur la rivière Wupper, à une hauteur d'environ 12 mètres et 3,3 kilomètres sur la voie publique, à Vohwinkel, à une hauteur d'environ 8/9 mètres.
L'altitude du point le plus élevé est de 180 mètres à Vohwinkel; du plus bas: 142 mètres soit 38 mètres de dénivelée et une pente moyenne de 2,9 pm. La pente maximale s'élève à 4%. A noter que les longueurs de rail n'atteignent que 20 km. du fait d'une section en voie unique . Le rayon des courbes est de 9 mètres en extrémité, de 75 mètres minimum sur le parcours, relativement sinueux du fait de la topographie.
Le nombre total de portiques est de 464. Le système compte 20 gares espacées d'environ 700 mètres. La vitesse commerciale moyenne est d'environ 26,6 kilomètres/ heures.
L'ensemble fonctionne sous courant continu 600 V.

 2-2. les voitures : remplacées il y a 25 ans, hormis une«pièce de musée».
27 voitures circulent sur la ligne en exploitation courante. Mais l’entreprise
gestionnaire entretient également avec beaucoup de soin la « Kaiserwagen »,  voiture historique, réplique du modèle utilisé lors de l'inauguration. Celle ci est employée pour des circulations spéciales et peut être affrétée à la demande pour des voyages officiels, par des groupes ou pour des mariages !
Les voitures modernes sont longues de 24 mètres, larges de 2,20 et hautes de 2,729 mètres. Leur poids à vide est de 22,175 T. total de 33,5 T. pour 199 passagers transportés dont 43 places assises. L'accès s'effectue par 4 portes de 1,3 mètres. A noter la disparition de la porte faciale avant - visible sur le timbre de Guinée-Bissau,
( fig. 3 ) - et qui servait d'issue de secours.

Les roues ont un diamètre de 800 mm. Quatre moteurs emportent chaque rame, de 50 kW chacun pour une vitesse maximale de 60 km/h., des accélérations/décélérations de 1,1/1,2 m/s2.
L'ensemble du parc a été renouvelé en 1972-1974 par l'achat de 28 rames, dont il n'en subsiste plus aujourd'hui que 27 suite à des circonstances sur lesquelles nous reviendront plus loin (voir 3.3). De l'ancien matériel roulant de 1902/1904 n'est restée que l'actuelle «Kaiserwagen ».
Figure 4 ,  Nouvelles voitures de 1972/1974.
 Timbre émis le 6.4.1975 pour les 75 ans du système.
 OblitéraHon Premier Jour.

3- Une histoire....
3.1... marquée par une réussite commerciale,
Le «Schwebebahn » fut très vite adopté par la population, en dépit des protestations de départ des habitants des secteurs traversés. Protestations bien  compréhensibles : dans la section en surplomb de la voirie publique, ses voitures passent a hauteur du 2° étage des immeubles !  En dépit aussi de ses nuisances sonores demeurées fortes, malgré la modernisation et la rénovation de l'ensemble du système. Et malgré son esthétique «métallique» très spécifique à l'époque (en fait celle d'Eiffel, rappelons le). 
 Son succès commercial ne se dément pas de nos jours. En ce début du XXI°s., 75 000 passagers l'empruntent
quotidiennement,  générant un trafic annuel de 22,9 millions de voyageurs. Après avoir régressé dans les années 1980, la fréquentation croit à nouveau, très fortement,
 En outre, le système est devenu l'emblème de la Mairie de Wuppertal après avoir été celui de la seule «Wuppertaler Stadtwerke AG» qui en assure l'exploitation technique et commerciale. « Une fois au moins dans sa vie, se suspendre au Monorail à travers Wuppertal » est devenu le slogan de toute une ville.

                                                                                                                                                                                Figure 5 . Oblitération courante

3.2. ... d'inévitables vicissitudes,
En un siècle, la vie du système devait forcément être émaillée d'incidents. En réalité,  ceux-ci  ont été exceptionnellement rares !
Le premier déraillement se produisit le 1 ° mai 1917, sans dommage pour les personnes. Mais très peu furent enregistrés par la suite.
 Les dommages matériels les plus graves furent ceux provoqués par les violents bombardements alliés des 30 mai et 25 juin 1943, puis par ceux des 1° janvier et de mars 1945 qui entraînèrent d'importantes destructions et de nombreuses victimes dans toute la ville. La réouverture put néanmoins se faire pour Pâques 1946.
 Figure 6. Carte postale Verlag Werner Freese, serie Gruss aus Wuppertal, ,,es war einmal": il était une fois.
Si peu de dysfonctionnements, si peu d'histoires à part cette page de la grande Histoire que le «Schwebebahn » se mit à en raconter lui-même !
Telle celle du jeune éléphant Tuffi, restée célèbre bien après le 21 juillet 1950. Ce jour là, nous dit -on, le propriétaire d'un cirque aurait eu l'idée d'affréter la fameuse «Kaiserwagen »
pour sa parade publicitaire et d'y embarquer le jeune Tuffi.   Affolée par les oscillations de la voiture qui peuvent, en effet, atteindre 15%, et sans doute aussi par la fanfare et le bruit, la bête se serait carrément enfuie en pleine course, perçant une paroi.. pour se retrouver  en vie dans la rivière Wupper après un plongeon de 10 mètres ( ?!?). Pour repartir ensuite avec son heureux propriétaire ! A la grande joie des philatélistes, petits et grands, invités à célébrer  « l'évènement» encore plus de 50 ans après.


Fig. 7. Oblitération d'un entier postal émis pour la NAPOSTA 2001 par le cachet temporaire « Tuffi » utilisé le 26 mai 2001

3.3. …et un vrai drame,  le 12 avril 1999Infiniment plus tragique et sans commune mesure fut, par contre, l'accident survenu 49 ans plus tard. Suite a l'oubli d'une pièce métallique laissée sur les rails par le personnel d'une entreprise engagée dans la rénovation des portiques et des stations, le drame: une rame déraille et s'abîme dans la rivière Wupper.  Cinq (5) morts et 47 personnes gravement blessées.

Ainsi sérieusement remises en cause, les règles de sécurité ont immédiatement été revues, le programme de modernisation accéléré,  les portiques multipliant des signes de vétusté aggravés par la pollution. II était temps, en effet.
Sorties des années de doute et de sous investissement de la décennie 80 liées au choix politique du «tout-automobile» et à des arbitrages budgétaires défavorables aux transports collectifs , les autorités locales ont pu mesurer - à la suite de cet accident et des interruptions de  service qu'il a occasionné- toute l'importance du «Schwebebahn» dans le fonctionnement et la vie de la Cité.
Aussi s'emploient elles à présent à amplifier les moyens nécessaires pour donner, encore plus vite, une deuxième jeunesse à cet  indispensable outil de déplacement. Des technologies nouvelles de métallurgie sont mises en oeuvre dans le remplacement des pylônes et portiques. En outre, a partir de 2004, l'exploitation aura recours à l'électronique qui permettra de réduire à 90 secondes les intervalles de passage entre rames à  l'heure de pointe et de réguler automatiquement le trafic.

Fig.8. Le bilan des victimes établi par la presse
 le lendemain s'alourdit, hélas, les jours suivants.

En même temps, les stations sont repensées et rénovées. Pour améliorer encore plus fortement l'attractivité de ce mode de transport urbain.
 Fig.9 et 9 bis. Dessin en coupe et photo d'une station modernisée.

3.4. Les fêtes du centenaire et la philatélie.
     

L' accident de 1999 étant heureusement resté unique dans les annales, 2001, année du centenaire, pouvait donc  légitimement  être célébrée avec faste. Particulièrement par la Philatélie ainsi que par les Postes : allemande mais aussi autrichienne, belge, celles du Groenland et de I'ONU (Bureau de Vienne).

   
Fig. 10 a, b, c, d, e,.
Depuis longtemps la Philatélie allemande a en effet un petit faible pour le « Schwebebahn de Wuppertal». La Fédération B.D.P.e.V. a ainsi organisé son Exposition Nationale annuelle - NAPOSTA - à trois reprises dans cette localité : 1951, première du genre, 1976 et puis donc 2001 pour les 100 ans du Monorail.
Ces manifestations, réputées être « la Mecque de la philatélie », ont naturellement donné lieu a différents cachets commémoratifs et/ou  temporaires, la plupart à l'effigie du Monorail suspendu, son viaduc- porteur ainsi que de ses vedettes: le «Kaiserwagen» ou l'éléphant Tuffi,
    
        Fig. 11 a, b, c.
De même, elles sont l'occasion d'émissions d'entiers postaux, ( par exemple fig.6)


Fig.12 Empreinte de la Machine à Affranchir
 POSTALIA de la WSW frappée le 25.7.1972

Fig. 13 Empreinte de la Machine à Affanchir ADREMA PITNEYBOWES
de la Municipalité de Wuppertal frappée le 28.07.2000.

Par ailleurs, différentes Empreintes de Machines a Affranchir â la silhouette stylisée du « Schwebebahn » ont été produites au fil du temps. Elles émanent pour l'essentiel de l'opérateur des transports urbains : la Wuppertaler Stadtwerke AG ( WSW, entreprise en régie municipale qui assure également la production d'électricité, la fourniture de l'eau et du gaz ainsi que d'autres services publics locaux comme le stationnement urbain)   Plus récemment, c’est la Mairie elle même qui a fait du Monorail suspendu son logotype et l'utilise à présent de manière systématique dans sa communication.
 
Enfin, déjà plusieurs émissions de timbres ont naturellement eu lieu. En 1976 d'abord (fig.4) puis en 2001, à deux reprises. La première, dans le cadre du programme annuel  mentionné à propos de la figure 1, la seconde a l'occasion de la NAPOSTA des 24 au 27 mai et qui se distingue de la précédente par une mention spéciale dans la marge de droite du bloc-feuillet.

Avec ce foisonnement de matériel, l'image du viaduc et de ses voitures suspendues a fini par occuper une place notable dans les catalogues des maisons allemandes de Ventes Sur Offre à orientation thématique : Gärtner, Roidl ou Wapler, qui a même ouvert une rubrique spéciale. D'autant qu'en dépit de la renommée de son système, Wuppertal n'a pas le monopole absolu de la technique du monorail suspendu, qui existe, on la dit, sous diverses formes dans le monde, à près d'une dizaine d'unités.
Ce succès philatélique et l'intérêt du « Schwebebahn »résultent de sa position au carrefour de plusieurs thématiques : celle des ponts, le système reposant sur un immense viaduc ; celle des transports par rails qui l'assimilent a un chemin de fer; celle de la métallurgie pour les matériaux  utilisés; celle de l'eau, du fait de la rivière surplombée ; ou d'autres, inattendues, comme celle de l ‘éléphant, grâce à Tuffi et son fameux  plongeon de 10 mètres ! A tous ces titres, le Monorail de Wuppertal  a encore de beaux jours devant lui chez les collectionneurs.
                  
Fig. 14. Feuillet émis le 24 mai 2001 avec la mention marginale : NAPOSTA 24-27Mai 2001.

Michel Krempper