Ce
pont a un peu plus de 100 ans, à peine. Pourtant
différentes erreurs ne cessent d’entourer l’histoire de
la construction de cet ouvrage dont la représentation
philatélique reste l’un des « must » de la philatélie du
Sénégal. Sur la base d’un dossier établi à l’origine par
la Ville de Saint-Louis et d’une enquête complémentaire
menée sur place par nos soins, il a cependant été
possible de rétablir la vérité historique, nécessaire
aussi bien aux spécialistes des ponts qu’aux
collectionneurs des différentes illustrations de ce
franchissement, emblématique d’une ville et d’une époque.
Figure
1.
Carte Postale, Magma 2001.

La
ville de Saint-Louis-du-Sénégal fut longtemps la
capitale de la Colonie éponyme . Son noyau central,
administratif et commercial est bâti sur une île. Il est
séparé par le petit bras du fleuve Sénégal des banlieues
de Guet-Ndar et Ndar-Toute – où furent construits les
premiers villages de pêcheurs sur la langue de Barbarie
- et du continent par le grand bras de celui ci.
Figure
2. Tricentenaire de Saint
Louis- Fédération du Mali Yt PA1 de 1959
Au premier temps de la
colonisation, on se rendait à Saint-Louis au moyen de
différents types d’embarcations, la pirogue étant la
plus commune. Des barges transportaient les troupes
encasernées dans l’île ainsi que les chevaux des spahis.
Les caravanes peuhles amenant les troupeaux de bœufs
faisaient passer ceux-ci par le gué de Bop Nkior.
En 1858, le 10 juin, est inauguré un bac à Rouet-ville,
lors de festivités présidées par Faidherbe.
Ce polytechnicien natif de Lille, officier
du Génie, était Gouverneur du Sénégal depuis 1852 et le
resta jusqu’en 1865. La Colonie et une grande partie de
l’Afrique de l’Ouest lui doivent une œuvre
d’organisation et de mise en valeur considérable.
Figure
3.
Faidherbe, le timbre.
Le bac pouvait transporter jusqu’à 150 passagers. Il
chargeait également des marchandises et des animaux, au
rythme de 10 rotations journalières, pour le prix de 5
centimes par personne , 50 par cheval, chameau, bœuf ou
voiture.
Très vite, ce moyen de transport s’avèrera insuffisant
au regard de l’accroissement du trafic et de
l’intensification de l’activité commerciale. Un second
bac est adjoint et une chaloupe mise en service en cas
d’urgence : la répugnance des animaux à s’embarquer
était constamment facteur de retard. L’escadron de
spahis ne put jamais traverser en moins de deux heures,
alors qu’ en raison de l’insécurité dans la région, il
lui fallait souvent intervenir dans l’urgence. Il arriva
qu’à la mauvaise saison le bac soit entraîné en pleine
mer, tandis que les chaînes de halage se rompaient
périodiquement. Moyennant quoi, le trafic pouvait être
interrompu la journée entière.
Le premier pont FAIDHERBE, un pont flottant.
En 1860, le capitaine
Robin, intérimaire de Faidherbe parti momentanément en
métropole, obtient du Prince Jérôme-Napoléon, ministre
de l’Algérie et des Colonies, un accord pour
l’établissement d’une liaison permanente.
L’adjudication portera sur
un pont flottant. Celui-ci comprenait 40 pontons en tôle
- d’un poids unitaire de 40 tonnes -, l’ensemble
supportant un tablier en bois. Grâce à une « portière »
de 3 pontons, le passage des navires était assuré .
La partie flottante était
longue de 355 mètres, pour une longueur totale de 680
mètres. Au total, cet ouvrage coûta 400000 francs. Il
fut inauguré le 2 juillet 1865, année du départ
définitif du Gouverneur vers la Métropole . Un décret
impérial attribua à ce franchissement le nom de « Pont
Faidherbe ».
Peu après, un chemin de
fer est décidé, construit puis mis en service entre
Saint-Louis et Dakar, provoquant une nouvelle et très
forte augmentation des échanges entre l’île- restée le
centre économique de la Cité et politique de tout le
pays, avec Sor, terminus du train sur le continent .
Son ouverture, en 1885, doit s’accompagner de la mise en
place de restrictions dans l’usage du pont flottant.
Ainsi, un arrêté est pris interdisant la traversée aux
véhicules de plus de 1500 kg. D’autant que l’étroitesse
du ablier –4 mètres- rendait difficiles les
croisements.
Les coûts d’entretien ne
cessent d’augmenter. Une équipe permanente doit affectée
au vidage de l’eau infiltrée. L’ouverture quotidienne de
la porte pour le passage des bateaux s’avère également
plus difficile que prévue. Néanmoins, malgré ces
inconvénients et sa dégradation progressive, l’ouvrage
restera en service 32 ans.
La décision de
réaliser une liaison fixe.
Il faut attendre décembre
1891 pour que le Gouverneur propose au Conseil
Général de la Colonie un programme de travaux publics
urgents. La décision est prise de le financer par un
emprunt de 5 millions de francs, dont la part principale
servira à payer la construction d’un nouvel ouvrage de
franchissement du fleuve Sénégal entre Sor et
Saint-Louis.
Un décret du Président Sadi Carnot autorise l’ouverture
de cet emprunt. Celui-ci sera souscrit pour un faible
taux d’intérêt auprès de la Caisse des Dépôts et
Consignations.
Le Ministère des Colonies organise à Paris la
consultation des entreprises candidates à la
construction. Ainsi, la Commission du Pont Faidherbe
crée au sein du Conseil général du Sénégal recevra les
dossiers de 5 entreprises soumissionnaires. Après étude,
elle en retient deux :
-
celui de NOUGUIER KESSLER & C°, ancienne maison JOLY,
d’Argenteuil ;
-
celui de la Société de Construction de Levallois-Perret
, anciens établissements EIFFEL.
Le choix du
projet
Le jugeant techniquement
plus étudié, la Commission du Conseil Général propose
d’adopter le projet de la Société de Levallois-Perret,
ex-Eiffel, rejoignant ainsi l’avis de la Commission
technique compétente instituée à Paris au niveau des
Ministères concernés
( Colonies et Travaux Publics).
Mais le chef du Service des Travaux Publics de la
Colonie, Robert, et avec lui certains Conseillers, sont
d’un avis différent. Considérant le projet Nouguier-
Kessler& C° supérieur du point de vue esthétique, ils
plaident très activement en sa faveur et finissent par
emporter l’adhésion de la majorité du Conseil colonial,
les coûts étant identiques : 1 880 000 francs.
Figure
4.
Le deuxième Pont, toujours en service,
reproduction de 2 CP anciennes sur une CP moderne,
éd. MAGMA 2001
Le pont choisi sera du type « pont-tournant » ,
construit en treillis d’acier, d’un poids total de 1300
tonnes. Sa longueur totale est de 508,60 mètres. Ses
travées sont de longueur inégale. L’une mesure 42,92 m.,
2 autres 36,55 m., 5 autres 8,26 m. chacune.
La construction durera de 1894 à 1897 pour conduire à
deux inaugurations successives.
La première – provisoire
– coïncide avec les festivités du 14 juillet et est
présidée par le Gouverneur Chaudié qui pour ce faire
s’installe sur la travée tournante, ouverte pour laisser
le passage à l’aviso Amiral.
Figure
5.
La travée tournante, carte postale semi-moderne
La seconde sera le fait d’André Lebon, Ministre des
Colonies et a lieu le 19 octobre.
Des mythes qui perdurent .
Cette seconde manifestation est l’occasion pour le
Président du Conseil Général de la Colonie de rappeler
que le financement de l’ouvrage était l’œuvre exclusive
du budget de la Colonie, à l’origine de la commande ;
l’emprunt souscrit pour ces travaux devant être supporté
par elle seule.
Ces propos étaient ils à l’avance une réponse à la
rumeur qui s’amplifiait en métropole, selon laquelle ce
pont avait été un don de la France à sa Colonie ?
Par la suite, un autre mythe allait aussi naître :
celui d’un pont qui, à l’origine, aurait été destiné à
une autre colonie (l’Indochine ?) pour être finalement
détourné sur le Sénégal…. Et un autre encore : qu’il
s’agirait d’un Pont Eiffel alors que précisément, le
projet présenté par cette Société avait été écarté par
le Conseil général de la Colonie, laquelle, en
l’occurrence, avait choisi l’ouvrage jugé par elle le
plus harmonieux artistiquement. Contre l’avis de la
métropole
Mythes qui ont la vie dure. Pour le vérifier, il suffit
de lire les différents guides touristiques (français),
sans doute fascinés par la personnalité de Gustave
Eiffel et pas toujours très soucieux d’exactitude.
Exemple, parmi d’autres : le Guide du Routard (édition
2003) qui nous raconte cette énormité : « Construit par
Gustave Eiffel pour franchir le Danube en
Autriche-Hongrie et expédié à Saint-Louis en 1897 à la
suite d’une gigantesque erreur administrative ! Et
finalement, sa longueur convenant tout à fait, on le
garda (page 215). » ?!?!?!?
Ce deuxième Pont Faidherbe est toujours en service.
Au temps de la colonisation, son image a largement été
utilisée comme emblème du Sénégal. Ainsi, il n’y a pas
lieu d’être surpris d’observer que ce pont a été le
sujet de l’une des principales émissions sénégalaises
d’avant guerre, de 1935 à 1940, avec de nombreuses
surcharges jusqu’en 1944. Un véritable « must » pour la
philatélie de ce pays.
Figure
6.
Timbre Sénégal
de la série de 1935 yt 114 à 137, dentelé 12 ½

Figure
7.
Carte Maximum
de 1937:
Le Pont Faidherbe, vu
de Sor.
Figure 8.
Timbre Sénégal yt 194 surcharge 10 f sur 15
c., en affranchissement d’une lettre expédiée le 13
janvier 1945 de Dakar à Alexandrie (Egypte), nombreux
cachets de transit, de censure et d’arrivée
(au recto et
au verso)

MICHEL KREMPPER