LES JARDINS ALBERT KAHN DE BOULOGNE-BILLANCOURT
Michel Krempper - AFPT Groupe Ponts - APN 92

Situés à Boulogne-Billancourt, les Jardins Albert Kahn sont depuis 1964 une propriété du Département des Hauts-de-Seine. Leur position sur le réseau des transports urbains [1], la présence du Musée Départemental Albert Kahn et de ses collections exceptionnelles, la grande qualité et la diversité des différents jardins remarquablement entretenus par le Conseil Général en font un point d’attraction exceptionnel de l’Ouest parisien.

Figure 1. Carte postale éditions Raymon, photo Duchateau

[1] Terminus Pont de Saint-Cloud de la ligne 10 du métro, arrêt tram Parc de Saint-Cloud, proximité de l’autoroute A13 …

Qui était Albert Kahn ?
 
Né en 1860 à Marmoutier (Bas – Rhin) d’une famille de commerçant juifs, le jeune Kahn, qui se prénomme alors Abraham, va très tôt quitter sa province d’origine : à 16 ans, peu après l’annexion de l’Alsace au Reich allemand, comme beaucoup de jeunes alsaciens venus travailler ou étudier à Paris [1]. Tout en travaillant comme employé de banque, il poursuit ses études jusqu’à obtenir une licence en droit. A 32 ans, il devient associé principal de l’établissement, avant de créer sa propre banque en 1898. Celle-ci fera rapidement de lui un homme riche.
 En même temps, ce banquier ami du philosophe Bergson, élabore un projet profondément humaniste : convaincu que la connaissance des cultures encourage le respect entre les peuples et constitue par conséquent un levier puissant pour la paix universelle dont il rêve, il va constituer ce qu’il appellera « les Archives de la Planète » : il utilisera la photographie et le cinéma naissant en finançant d’énormes campagnes de prise de vues dans 50 pays pour documenter leur vie politique, économique, sociale, l’habitat, la religion, la culture, les costumes, les milieux naturels. 72000 photos couleurs et 180000 mètres de films seront rapportés de ces expéditions pour être conservés dans ce qui constitue aujourd’hui le Musée Départemental [2].
Kahn lui-même fait de nombreux voyages et est particulièrement fasciné par l’Asie, notamment le Japon où il se rendra plusieurs fois.

[1]  Ce sera l’origine de la très célèbre « Ecole Alsacienne » de Paris
[2]  Ce Musée gère ainsi la plus importante photothèque du monde

Les jardins, composante d’un projet humaniste.
Installé à Boulogne, le banquier alsacien y acquiert un hôtel particulier en 1895, puis, par étapes, 4 hectares attenants. Les jardins qu’il va progressivement aménager jusqu’en 1910 vont être mis au service de son projet de dialogue entre les peuples.
Il créera  différents jardins « de scène », ceux que l’on visite aujourd’hui : un jardin français avec une roseraie et un verger, un jardin anglais, un marais suivi d’une prairie, une forêt bleue, une autre
dorée, et plus étonnante, une forêt vosgienne, souvenir de son enfance à Marmoutier. S’y rajoutent deux jardins japonais, en réalité les premiers créés. Les paysagistes Henri Duchène et Louis Picard apporteront successivement leur concours.
Dans l’utopie de leur créateur, cet ensemble paysager doit constituer une  « mappemonde »  où les cinq continents sont réunis grâce aux différentes « scènes » représentées et aux végétaux plantés, permettant au visiteur de voyager tout autours du monde.

Les jardins japonais.
Dès son retour d’une première rencontre avec l’Empire du Soleil Levant en 1898, Albert Kahn aménage un premier espace dédié à ce pays. Des artistes japonais venus spécialement le dessiner et le planter apportent deux maisons d’habitations et une collection de bonsaïs.
Après son second voyage dans l’archipel nippon, en 1908-1909, le maître des lieux conçoit et fait exécuter un deuxième jardin japonais, plus vaste. Sa particularité est de laisser une place beaucoup plus importante au thème de l’eau. Notons que cette parcelle a été restructurée en 1990 par le paysagiste Fumiaki Takano qui l’a traité sur un mode plus contemporain

Figure 2. Extrait du plan des jardins diffusé par le Conseil Général 92


Comme dans la plupart des jardins japonais,  celui  conçu par Albert Kahn comporte les éléments clés traditionnels :

  • un salon de thé dans l’un des pavillons, aujourd’hui encore utilisé pour des séances rituelles,
  • des rochers, choisis pour leur forme, leur taille, leur couleur et leur texture,
  • du sable ou du gravier, sur lequel sont dessinés des motifs,
  • des éléments décoratifs : lanternes (traditionnellement de pierre), statues, bassins d’eau, shishi odoshi (mécanismes faisant du bruit pour écarter les animaux),
  • des bordures comme une haie, une palissade ou un mur de facture traditionnelle,
  • des chemins de terre, de gravier, ou de pierres.
  • de l’eau : mares, rivières, chutes ;  on y trouve également une île, et des franchissements menant à l’île ; les étendues d’eau contiennent des carpes koï; 

Les ponts de bois arqués.
Dans ce second jardin rénové, l’on a conservé des ponts en arche de bois dont la  présence est inséparable du thème. Ils sont au nombre de deux. Leur structure est identique et analogue à ceux des ponts que l’on trouve dans  tous les jardins japonais du monde 4 . « Elément souvent indissociable d'un jardin, le pont en arche "taikobashi", littéralement "pont-tambour" plus qu'un élément décoratif ou fonctionnel participe à la fonction symbolique du jardin japonais. Plus grand "masculin "s'il  est de bois,
 ( à l'opposé "féminin" et plus petit s'il est de pierre) il évoque le passage , un espace de transition vers l'élévation spirituelle rendant accessible  l'île symbole du paradis.
 » (voir "ponts à arches de bois")
4 En dehors du Japon, ils se rencontrent aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et même en Argentine, souvent financés par les communautés japonaises.

Figure 3. Le pont rouge en 1912

 

 

 

 

 

Figure 4. Le pont en 1949
 

 

 

 

 

 

Légèrement arqués, ils sont ici de couleur rouge, dans des tonalités cependant différentes. Diffère aussi leur taille. Le plus grand est long de 11 mètres et large de 1,10 m. , l’autre de 9  avec une ouverture de 7,5 mètres, une largeur de 1 et une hauteur de 3,5 m.  « La couleur rouge, quand à elle , symbolise l'harmonie et incarne le bonheur et la sincérité… (Ainsi) le pont rouge participe étroitement à la sérénité et à l'harmonie recherchées. »

 

Le timbre du Bloc « Jardins de France » 2006.
Sur le thème des jardins, la Poste de France émet depuis plusieurs années des Blocs au grand format, d’une forme particulièrement originale. Les Jardins Albert Kahn ont été retenus pour celui émis le 24 avril 2006, en même temps que l’arboretum du Parc de la Vallée aux Loups, autre propriété du Département des Hauts-de-Seine, ainsi particulièrement mis en valeur par cette émission. La dimension de ce bloc est de 286 mm. à l’horizontal, 110 mm. à la verticale. De couleur polychrome, il a été imprimé en héliogravure
figure 5 - Le bloc de 2006


Les deux timbres ont une faciale de 1,98 euros chacun. D’une découpe atypique, leur taille est de 30 mm. de large, 40 de haut. Les dentelures sont de 13½ x 13.

 

                                                   Figure 5a. Le TP Jardins Albert Kahn en détaché  

 

La création de l’ensemble est due à Michel Bez. Pour le timbre des Jardins Albert Kahn, l’artiste a choisi de représenter en fond une végétation très dense, mélange de conifères et de feuillus, autours d’un ruisseau bordé d’herbes hautes. Le pont de bois rouge vient ainsi parfaitement contraster avec cet univers touffus.

Le cachet Premier Jour
La vente anticipée du Bloc a eu lieu le 22 avril 2006 dans trois sites différents. Outre Boulogne-Billancourt, Châtenay-Malabry et Paris. Un seul type de cachet oblitérant à toutefois été utilisé, le  timbre à date Premier Jour 22.04.2006 ne différant que par l’indication des trois lieux de mise en vente.

Figures 6a 6b 6c Trois déclinaisons du Cachet 1er Jour

 

Dues à Gilles Bosquet, l’illustration et la conception de ce cachet de 32 mm. sont parfaitement réussies : l’un des deux ponts de bois de notre jardin japonais s’y retrouve au premier plan, dans une vue de trois -quart, la Maison de Chateaubriand dans le Parc de la Vallée aux Loups  à l’arrière-plan. 

La ré-émission pour le Salon du Timbre 2006
Le même timbre des Jardins Albert Kahn se retrouve sur un autre Bloc, émis dans des circonstances particulières, pour le Salon du Timbre qui, en juin 2006, suivi la première émission. A cette occasion, l’Imprimerie du Timbre-poste et des valeurs fiduciaires a voulu montrer son savoir-faire au grand public.

 Figure 7. Bloc spécial émis pour le Salon du Timbre 2006

Elle a commencé par fabriquer  dans ses locaux de Boulazac près Périgueux un bloc au format de 210 x 142 mm, toujours en héliogravure mais comportant 4 timbres : les deux émis en avril 2006 ainsi que les deux de l’édition 2005 des Jardins de France dédiée au Jardin de la Fontaine à Nîmes, tous 4 à la faciale de 1,98 euros. 

Puis, sur une presse spéciale installée devant le public au sein même du Salon, les techniciens de l’ITPVF apposaient une guirlande dorée frappée à l’or chaud, dont les motifs apparaissent donc en relief.

Les enveloppes de service de Phil@poste 2007 – 2008
 

 Cette étude serait incomplète si elle ne signalait pas deux autres utilisations de la figurine postale des Jardins Albert Kahn sur deux autres supports fabriqués par la Poste, à l’intention non plus cette fois du public des acquéreurs de timbres-poste mais plus spécifiquement du Service clients de l’ex- Service Philatélique de la Poste, rebaptisé Phil@poste . Il s’agit d’enveloppes destinées à recevoir le Catalogue des nouvelles émissions et disponibles pour leur achat par correspondance : plus particulièrement des catalogues des 4ème trimestre de 2007 et 2008.

 Leur format est vertical, de 162 mm en largeur et 300 mm en hauteur. La face avant comporte différents éléments :

·         directement imprimée sur le support, la figurine postale Jardins Albert Kahn avec une simili-dentelure, reprise du TP détachable de 2006 mais ici réduite au format 24 36 mm contre 30 x40. La faciale a disparu, remplacée par la mention Port payé, en 3 langues présente sous le « timbre »

·         à gauche en haut, le logo de la Poste et l’adresse du service expéditeur

·         une fenêtre pour faire apparaître l’adresse de destination

·         occupant les deux-tiers de l’enveloppe la reproduction de certaines des émissions du trimestre (par exemples en 2007 les blocs Phares, France à vivre, le carnet Marianne de Cheffer, en 2008 les TP Baie d’Along, Patrouilles de France, Feux d’artifices, reblochon…)

·         en bas à droite les mentions France : Lettre prioritaire / International : prioritaire.

 Au verso, on lit en effet des mentions en jaune précisant en français, anglais et espagnol  « validité monde entier au départ de la France » et « Lettre prioritaire pré-timbrée prévue pour un emploi jusqu’à 150 grammes ».  Mais aussi  « Ne peut être vendue ».

 Cette dernière indication semble devoir déterminer le « statut philatélique » de ces enveloppes. Alors que la présence simultanée de notre figurine postale Jardins Albert Kahn pré-imprimée assortie d’une marque d’oblitération pourrait accréditer l’idée que nous sommes en présence d’entiers postaux 5, l’impossibilité de les acheter aux Guichets de la Poste les assimilent plutôt à des « enveloppes de service ». Ce qu’au demeurant elles sont fonctionnellement.  

Mais alors pourquoi l’impression de la figurine et la mention « Lettre pré timbrée » s’il ne s’agit pas d’un vrai timbre-poste, qui par définition comporte une valeur fiduciaire ? Seulement « pour faire joli » ? C’est l’avis de certains 6. Une autre réponse, non contradictoire à la précédente, serait qu’il s’agirait d’un message destiné aux Postes étrangères pour éviter la taxation de l’envoi au destinataire final en l’absence de ces  indications  ?

 Tout avis éclairé et argumenté sera le bienvenu. D’avance merci pour votre contribution à la discussion.!

Figure 8. Enveloppe de service de 2007

Figure 9. Enveloppe de service de 2008 

5  Selon une tradition constante, les entiers comportent un timbre imprimé constatant la perception d’une taxe postale, ce qui n’est pas le cas ici puisque la Poste ne se taxe pas elle-même. Rappelons aussi que tous les éléments figurés sur un entier sont susceptibles d’être présentés intégralement dans les Expositions FIP, ce qui situe l’enjeu du débat.

6 Par exemple de M. André Huré sur le site web des Entiers de France.

                                                                 Michel Krempper